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La Poésie de l'Est et l'Ouest
19 mars 2021

La lamentation de la Dame

 

Partie1

 

Je regrette depuis trop longtemps

La venue de ce fils d’Everrand.

Grand seigneur était-il en ce temps,

Grand seigneur il demeure.

 

Corcoda de son règne est le lieu,

Sur la grève où la vague se meurt.

Il ne dort jamais le front soucieux

Dans ses ors et ses cours.

 

Il advint autrefois que les loups

S’installèrent au pied de ses tours.

Ils venaient des sommets, fort jaloux

De toute gloire humaine.

 

A la chasse Boré préparait

Les guerriers qui ne fuyaient la peine

Et, loyaux, leur cité secouraient.

C’était ost bien armé.

 

Le seigneur s’élançait en premier

Par les portes sitôt refermées.

Et les loups pourchassant les guerriers

Laissèrent Corcoda.

 

Venu dans les bois, l’on présenta

Aux monstres les sceptres des soldats ;

Leur bravoure ne leur rapporta

Un hommage rendu :

 

Chaque lance bientôt fut rompue,

Chaque épée sur les os fut fendue,

Sous les crocs tous les cœurs des vaincus ;

Ne resta que Boré.

 

De ceux qui d’un ventre ne sont nés

Et de leurs enfants, l’Ire Sacrée

Le gardait et son bras malmené

Tua férocement.

 

Or la nuit s’étendit sur les vents ;

Un renard lui vint secrètement,

Des pouvoirs dont j’use le servant.

Il lui dit sous son pas,

 

Soustrait d’un sort aux fauves regards :

« Parmi ceux qu’emporta le trépas,

Mon seigneur, couche-toi sans retard ».

Et Boré le chassa.

 

Le renard revenu répéta :

« Abandonne, nul ne l’apprendra ;

Chois sur ceux que la mort arrêta. »

Et le seigneur, qu’habille

 

L’orgueil, en injures le servit ;

Le renard entama sa cheville

Et sans ordre non plus qu’un avis

Le fit choir sur la terre.

 

Or alors survient dans sa colère

Everrand, que Boré eut pour père.

Il fait fuir les bêtes qu’il ne perd,

Un salut imprévu.

 

Il tua tant de bêtes qu’il put

Mais Orès s’enfuyant à sa vue,

Everrand à sa suite s’en fut,

D’un serment éprouvé.

 

C’est ainsi que dans le sang baigné,

Par le goupil Boré fut sauvé

Car nul Everrand n’eut épargné

Dans sa folie, son ire.

 

Boré jusqu’à l’aurore livide,

Entre ceux qu’avait fuit l’avenir,

Céda devant le sommeil placide.

A l’aube il aperçut

 

Un vert tertre élevé ; de corps nul

Sur le sol ; et la terre bossue – 

Où en vain toute gloire s’accule – 

Était percée d’épées.

 

De sa couche le seigneur levé

D’un coup de sa lame vint frapper

Celui-même qui vint le sauver.

Ma magie le garda.

 

« De sagesse tu n’eus grande part,

Dit-il. Le mal toujours abonda

Pour qui égaré par les hasards

D’orgueil tua son guide. »

 

Et Boré pour aller à sa suite

Occulta le métal homicide.

A travers la forêt fut conduite,

Assurée, sa démarche.

 

Il vint par les berges de ce lac

Quand de mon portail il franchit l’arche

Et le berçait l’infirme ressac

Qu’une eau douce produit.

 

Etant passé par mes cours fleuries,

Il trouva en ce jour, cette nuit,

Les murs noirs et les tables garnies

Par la fête égayés.

 

La viande et le pain n’eurent manqué.

J’invitai pour venir festoyer

Ce Boré par l’épreuve marqué.

Il mangea puis il but

 

Le vin que l’on sert sans retenue

A l’étranger, un mauvais tribut

Que le naïf verse à l’inconnu.

Le voile du sommeil

 

Tomba. Boré gagna le lit prêt.

Il reçut soins nombreux et conseils

De ma part, prodigués dans la paix

Du sommeil des vaillants.

 

En moi, vierge sage et très-puissante,

Un grand pouvoir fluait. S’éveillant,

Boré prit ma vertu innocente

En un acte trop vil.

 

Car ce fou n’était plus que désir.

Au matin il partit pour sa ville

Où la honte qui dût le saisir

Poussa son âme lâche.

 

En sa couche il laissait une femme

Impuissante, ignorante et sans tâche.

Et depuis, poète, serf et dame,

Ici nul ne demeure

 

Autre que vous, joyaux de mon cœur,

Et votre aîné, l’éternel dormeur

Car pèse un charme fait de rancœur

Sur lui comme une peste.

 

Toi, mon fils, toi, ma fille, êtes chers

A mon cœur. Et pourtant, pour un geste

Impuni, vous deux serez mon fer,

Ma flamme et mon poison.

 

Aujourd’hui, pour gagner le bastion,

De Boré, vous quittez ma maison,

Ses jardins, ses statues sans motion,

Ses vignes, ses haies d’if.

 

Mes enfants chers, dans l’épreuve unis,

Recevez ces coursiers aux pieds vifs.

Sans regrets, sans tristesse, bénis

Par des mots façonnés

 

Dans l’amour d’une mère, partez.

Je vous aime et pourtant, comprenez,

C’est ma haine qu’il faut apaiser.

 

© Cédric Logue-Martin, 2021.

 

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