Le lai du Errant
Éverrand :
J’ai fait la guerre, homme loyal,
Au nom royal d’un guerrier pieux.
C’est en vainqueur que l’on me voit,
Pourtant chez moi nul ne m’accueille
Avec la bière, avec la joie,
Le pain, les proies des victorieux.
Est-il encore un cœur qu’enflamme
Un doux éclat réconfortant ?
Le serviteur :
Pour toi j’accours, moi ton servant,
Grand Éverrand, noble seigneur.
Éverrand :
Pour mon épouse ai-je grand peur ;
Du sang l’odeur me fait frémir :
Un étranger comme un voleur
En ma demeure a pénétré.
Si tu le sais, mon serviteur,
A mon malheur donne réponse ;
Apprends-le moi : quel vain orgueil
Devant mon seuil s’est présenté ?
Le serviteur :
Ton propre fils, seigneur aimé,
S’est présenté devant ta porte.
Il revenait accompagné
De son aîné vers sa famille.
Éverrand :
Ces fous changés par la justice !
Indignes fils dans mon palais !
Qu’ont-ils donc fait à qui la vie
Un jour offrit à ces ingrats ?
Le serviteur :
Mon bon seigneur, pour toi je parle :
A ton alarme étaient partis
Tous tes gardiens, tous tes soldats.
Or cette dame, aimée Cydie,
Trouva les loups en cette salle,
Et la peur pâle arma son cœur.
Éverrand :
A-t-elle fui si protecteur
Ne s’est sans peur dressé pour elle ?
Le serviteur :
Plein de courage, un cœur ne cède
Et privée d’aide elle fut brave :
Elle saisit lance mortelle,
Un loup cruel en put occire.
Éverrand :
Mon serviteur, il faut le dire :
A ma Cydie n’est survenu
D’autre malheur ! Réponds-moi vite,
Est-elle vive ? Est-elle sauve ?
Le serviteur :
Orès parla : « Mère, tantôt –
Non, ton cœur sot ne reconnut
Ton propre fils aux cruels mots.
Le large dos de Vénoras,
Tu le perças d’un javelot ;
Nul de ses crocs n’auraient de toi
Frappé la chair, brisé les os.
Mais aussitôt que ton seigneur
En revenant de ses travaux
Verra quels maux l’ont pu frapper,
Tous connaîtront ta grande faute. »
Il dit ce mot et puis s’en fut.
Éverrand :
Que n’eût-il dit des mots si crus ?
Furent-ils crus de ma Cydie ?
Tient-elle ici son cœur reclus ?
Avoueras-tu ce qu’elle fit ?
Le serviteur :
Cydie blâma son geste et fuit
Après la nuit jusqu’au rivage ;
Un haut rocher sur l’onde vive
Elle gravit et du sommet
Se laissa choir dans la mer grise.
Ainsi périt Cydie ta reine.
Éverrand :
Tu dis mensonge où rien n’est vrai !
Dans ses apprêts l’on trouvera
Comme toujours Cydie la belle,
Au fond de baies chantant pour l’eau ;
On entendra sa voix si frêle
Où la forêt, le ru, le pré
Sont célébrés. Tais-toi vil serf !
Or je le sais... Je ne puis croire !
Un corps rendu me le soumet :
Non, plus jamais l’on ne verra
Dans sa maison ma tendre reine,
Aux bontés vraies, au cœur si juste !
Aimée Cydie, que t’as-t-on fait ?
De ta parfaite et douce voix,
De ta beauté, ton teint de perle,
Il n’est un air en toi resté !
Et c’est mon fils, l’ignoble Orès,
Que pour ce trait je dois blâmer !
Il périra par ma colère !
Et fendant l’air sur mon coursier,
Ma lance au poing toujours je vais :
Je ne vivrai que pour tuer
Le loup fautif tueur de reine !
© Cédric Logue-Martin, 2021.