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La Poésie de l'Est et l'Ouest
26 mars 2021

La fable d'Erras et Lilien II : La naissance de Lilien

 

 

Énèque s’était rendu auprès de la mère de Ramand, sur le conseil de ce dernier. Espérant en son cœur que nul ne la brandirait plus jamais, il avait jeté dans une rivière l’épée souillée du sang d’Arvile puis il avait suivi le courant jusqu’aux berges d’un lac ; là se dressait une demeure de pierre noire. Il avait laissé son cheval dans les jardins et pénétré dans le palais où, semblait-il, un repas avait été préparé pour le visiteur. Craignant de se méprendre, il avait appelé le maître du lieu ; un seigneur avait alors paru ; il n’avait pas de visage et était si faible qu’il lui fallait le soutien d’une Dame pour marcher. « C’est une bien grande peine, dit l’homme, de voir que mes efforts pour accueillir un étranger dans le silence soient en vérité si vains. Tu aurais dû te servir et repartir, sans bruit, sans troubler mon sommeil. Cette maison te semble-t-elle faite pour les convenances ? Vois, il n’y a ici ni armes ni chevaux, aucun échanson ne viendra te servir de la bière non plus qu’un poète ne chantera pour ton plaisir. Il n’y a que moi, malade entre les malades, et la Dame, la plus charitable des âmes, le seul éclat de beauté que ces pierres contempleront jamais. Alors mange, seigneur ; puis tu reprendras ta route et cette demeure retrouvera le silence. » Puis la Dame était allée coucher le seigneur sans visage et Énèque avait mangé. Cependant, il craignait de quitter ces lieux où il échappait encore à la connaissance des dieux. Quand la Dame revint pour remplir sa coupe de bière, il se jeta à ses genoux et la supplia. La Dame eut pitié de lui mais elle ne put résoudre de désobéir à la volonté de son seigneur. Elle accorda donc à Énèque de demeurer sur l’île qui baignait au centre du lac. Elle le lui fit traverser dans une barque poussée par des cygnes et le laissa sur l’île. Là, il se construisit un abri et y vécut, mangeant le poisson qu’il pêchait dans les eaux du lac et buvant le vin que la Dame lui apportait le soir ; il arriva une nuit qu’elle ne rentra pas chez elle et ne revint qu’au matin suivant. Un jour vint à l’oreille de la Dame la nouvelle que les dieux avaient quitté la terre. Les feuilles étaient tombées des arbres ; la neige couvrit les sommets des montagnes et le gel détruisit les jardins. Énèque partit en cette saison et, bientôt, la Dame donna naissance à leur fils. Elle l’éleva sur l’île, à l’abri de la vue de son seigneur, et c’est pour cette raison que le garçon porta le nom de « Lilien ». L’enfant grandit ; il obtint peu de la puissance de sa mère et sut seulement parler au oiseaux, mais il apprit sa sagesse et il y eut peu de choses en ce monde dont il ignorât les noms et les pouvoirs.

Au jour où il entrait dans sa vingtième année, Lilien dit à sa mère : « Qui voudra que j’apprenne les façons des hommes ? De quel père me réclamerai-je ? En vérité, je crois que nul ne me réclamera. S’il est un seul bien que je devrais jamais posséder, ce sera ce domaine en lequel tu m’élevas et où je trouverai toujours meilleur accueil qu’ailleurs dans le monde des hommes. » La Dame répondit : « Ce domaine n’appartient qu’à son seul seigneur, celui auquel je le donnai par la pitié que j’éprouve pour lui. Si tu n’acceptes ta place dans son enceinte, alors tu as déjà refusé tout séjour aux côtés des hommes. Je te laisse une chance de gagner ce qui ne t’appartiens pas, mais tu échoueras et je te récompenserai comme il se doit de ta prétention sur l’empire de mon seigneur. Mon fils, trouve mon nom et sa demeure sera tienne. » Lilien put donc demeurer le temps d’un mois dans le palais au bord du lac. Il écouta les paroles du seigneur sans visage pour connaître le nom de la Dame ; comme il ne l’y entendit pas, il tourna son attention vers les voix des oiseaux, or ils devaient ignorer une chose au monde et c’était ce nom. Un jour, un renard, serviteur de la Dame, vint devant Lilien et lui dit, empli de pitié : « Seigneur, entends raison et résigne-toi, ou, si tu le refuses, accepte mon aide car ton orgueil sera l’instrument de ton noir destin. » Mais Lilien le repoussa car il craignait le renard qui n’avait point de vie en lui. Le jour vint où la Dame s’enquit de la réponse mais Lilien n’avait pas trouvé son nom, d’aussi loin que vinssent les nouvelles des oiseaux. « Ce n’est point dans les bouches des vivants que tu aurais dû chercher », dit la Dame. Et la demeure de pierre noire disparut avec la Dame et son seigneur, et c’est depuis ce jour que Lilien dût errer, seul parmi les hommes.

 

© Cédric Logue-Martin, 2021. 

 

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