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La Poésie de l'Est et l'Ouest
22 mars 2021

La chanson du Vengeur

 

Ce conte sied à toutes les cours :

Vous voici racontés sans détour

Lairme le Vengeur et son amour

Pour la belle Offrielle.

 

Les hommes de grande habileté

Résidaient en Auridir la Belle,

Eux que le seigneur de la cité

Sur tous estimait fort.

 

L’un d’entre eux tenta ce que personne

Alors n’avait accompli : dans l’or

Il forgea quelque ronde couronne

Admirablement fine

 

Puis y grava les arbres à cime

Et les buissons et chaque racine,

Et leur père avant eux, l’Arbre Prime,

En de beaux entrelacs.

 

Épuisé par un si grand travail,

Cet homme qui ne fut jamais las

N’acheva ni gravure ni taille :

Il mourut sur l’ouvrage.

 

Longtemps, Navéliane le pleura ;

Le mit au tombeau selon l’usage.

Elle était sa femme et l’enterra,

Éplorée entre toutes.

 

On dit qu’elle prit, seule, debout

Dans un bateau qu’elle fit, la route

Au-dessus de l’océan qui bout

Et n’a de répit nul.

 

Navéliane à jamais fut perdue,

Partie par un calme crépuscule.

Au seigneur toutefois était due

La couronne toujours.

 

Loin des marées et loin de la houle,

Il attendait, ce Lairme, et sa cours

Priait : « Qu’à son front le bijou roule

Enfin comme on l’attend ! »

 

Or Navéliane avait un enfant,

Offrielle, et partout l’on entend

Rapporté du couchant au levant

Qu’elle fut la plus belle.

 

Nul joyaux mieux ne l’embellissait

Que ses yeux ; sa peau semblait un miel,

Ses cheveux un orge que berçait

Le vent sur sa poitrine.

 

Une fois, chez lui Lairme l’invite.

En sa cours serpente une racine ;

Il achoppe tant ce jour l’agite,

Est blessé lorsqu’il tombe.

 

Vient Amour, sous les traits d’un garçon

D’entre ses servants. Il lui incombe

Avec bonnes et belles façons

D’accepter la couronne.

 

Amour s’éloigne ; il change de forme,

Imitant l’allure, la personne

Et la voix du guerrier chut sous l’orme,

Enfin trône pour Lairme.

 

C’est à ce dieu que l’or est offert

Mais dans l’œil d’Offrielle qu’il ferme,

Un amour naît pour Lairme, sincère.

Et pour mieux l’abuser,

 

Amour dit : « Va user de métier

Selon l’art de ton père et forger

Un poignard nouvel à l’atelier. »

Parti, le dieu reprit

 

Les traits d’un fils d’homme et se réjouit ;

Il revint vers Lairme et le guérit.

Méditant l’ordre qu’elle avait ouï,

Offrielle obéit.

 

La fille n’avait point la main vile

Et forgea d’un geste si précis

Qu’un oiseau vola le long du fil,

Lui qu’elle façonna.

 

Bientôt à Lairme elle révéla

Cette merveille ; il s’en étonna

Et telle beauté ne contempla

Jamais qu’en Offrielle.

 

Avant leur mariage, ils s’adoraient,

Puis cette dévotion devint telle

A la fin que partout l’admiraient

Les bons et les méchants.

 

Delfée naquit de leur amour tendre.

Offrielle une fois par les champs

Emmena l’enfant pour lui apprendre

A dire fleurs et baies.

 

En vérité, aux murs du palais

Lairme inflexible la dérobait :

Pour la première fois il voulait

La savoir loin de lui.

 

C’est qu’un hôte rempli de mépris

Pour le bien, et de méfaits séduit,

Se rendait alors à Rosarie ;

Argos était son nom.

 

« Qu’en sa vue ta pureté ne sombre,

Offrielle, quitte ta maison, »

Dit Lairme. Ainsi des soldats en nombre

Autour d’elle grondaient.

 

Or un serpent vint rampant dans l’herbe,

Et la mère en ses deux bras gardait

Son enfant. D’un coup non moins qu’acerbe,

Elle eut le pied percé.

 

Offrielle pour rien n’eut lâché

Delfée, dans ses bras comme bercée.

Elle ne put alors plus marcher

Et chut sur l’herbe douce.

 

Lairme reçut un serf ; de sa bouche

Il apprit pourquoi faisaient la mousse

Et l’herbe d’Offrielle la couche.

Il la ramena seul ;

 

On vit sur Lairme tombé le deuil ;

On vit Offrielle en un linceul ;

Tous venaient pour donner sur le seuil

Une offrande, un cadeau.

 

Or chez Lairme se trouvait cet hôte.

Il vit l’épouse sur le tombeau

Et dans son cœur prépara sa faute :

Il avait eu pour fille

 

Navéliane et ce seigneur impie

Voulut qu’auprès de sa vraie famille

Offrielle fût ensevelie.

Quand il sut son projet,

 

Terrible fut le courroux de Lairme.

Il déclara : « Devant tes sujets

Je mènerais ta vie à son terme,

Argos de Rosarie ! »

 

Ils s’affrontèrent, pleins de dépit,

Au nom d’Offrielle la chérie,

Et Lairme tua son hôte impie,

Mit sa pourpre en lambeaux.

 

Cet Argos avait reçut son lot.

Or, renonçant aux rites tombaux,

Lairme conduisit au bord d’un flot

Le corps de son aimée.

 

Avec elle, il laissa l’enlever

Le courant loin des peines semées.

Il voulait dans la mort la trouver,

Très loin des choses vives.

 

Or, le corps, la rivière le pris

Quand Lairme fut jeté sur la rive

A regretter pour un trop grand prix

D’être toujours vivant.

 

De la fourche étroite d’une branche

Il prend un serpent par là buvant,

Lui fait mordre sa chair, que s’épanche

En lui tout son poison.

 

Le crochet qui sous sa peau s’enfonce

Est vide de mort et pâmoison :

Il avait jusqu’à la dernière once

Épuisé son venin.

 

Ce serpent avait fait le destin

D’Offrielle ; à quelle affreuse fin

Le feu de ses dents s’était éteint,

Lairme le devina.

 

De sa dague il le décapita ;

Contre lui-même, l’arme tourna,

Lui perça le cœur, et l’emporta

La rivière cruelle.

 

Célébrez ceux-là qui ont souffert,

Ce grand Lairme et la belle Offrielle ;

En tous cœurs leur souvenir est cher,

Toujours je les chante.

 

© Cédric Logue-Martin, 2021.

 

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