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La Poésie de l'Est et l'Ouest
5 mai 2021

Chant IV : Aux Sages

 

Iskender

 

Dastan fait silence. A ses mots n’est personne

En qui l’inquiétude assourdie ne résonne ;

Et la haine affleure. Alexandre d’abord

Se tut. Puis sa voix dans l'air prit son essor :

« Un pacte me lie par lequel je reçois

Le trône d’un règne au-dessus de vos rois.

Je vous prouverai n’en être pas indigne

Et je recevrai de vous-mêmes l’insigne

Au pouvoir duquel vous consacrez un règne.

Aujourd’hui, pourtant, éloquent homme, daigne

Accorder aux gens de nos deux compagnies

De pleurer Dara que la mort étreignit. »

Dastan consentit. Les deux traîtres livrés

Furent empoignés, traînés et enfermés.

Le cercueil quitta, qui le portaient, les dos

Et de mains en mains parvint jusqu’au tombeau

Où de la province on enterrait les rois.

On ouvrit au jour pour une ultime fois,

Au milieu de pleurs, puis ferma le cercueil

Et parmi les chants, les plaintes et le deuil,

On l’ensevelit. Refermé, ce caveau,

Jusqu’au jour où roi périrait de nouveau.

Alexandre enfin s’en retournant regagne

Au pied des remparts la fertile campagne.

Or les sages vieux du conseil de Dara

L’arrêtent, disant : « Toi qui tant honora

Notre suzerain, veuille donc recevoir

L’hospitalité qu’il nous est un devoir

D’accorder à ceux qui viennent par chez nous

De tous horizons. » C’est ainsi qu’à genoux

Ces gens respectant leurs usages anciens

Parlaient en un chœur à l’altier souverain.

Alexandre dit : « Jamais je n’eus le tort

De refuser d’hôte un comble de confort. »

Il dit puis foula, suivit des généraux

De sa compagnie que guidait un héraut,

La route tendue jusqu’au palais, demeure

Alors célébrée pour être la meilleure :

Elle s’élevait de la terre à la nue ;

Dans le monde alors toute chose advenue

Se trouvait marquée dans l’ornement des murs

En poèmes fins – des livres le plus sûr.

En la mosaïque et dans l’éclat du marbre

Etaient des motifs où le buisson et l’arbre

Ensemble mêlés convoquaient dans la pierre

Un jardin pourvu de vivante matière.

 

Autour du repas savamment préparé,

Chacun recevait la viande séparée

En égales parts. A vouloir on mangea,

Puis on but le vin pour lequel vendangea

Un bras laborieux. Quand on fut rassasié,

Les Perses de l’hôte enfin prirent congé

Et la réception maintenant achevée,

Alexandre dit d’une voix élevée :

« Hélas ! La fierté sans s’affaiblir conduit

L’Etat qu’un roi perse abandonne après lui.

Ici je ne suis vénéré de personne :

Appréciez la charge enviée d’une couronne. »

Or auprès du roi, parmi ses commandants,

Héphaïstion dit : « Toi, rustre prétendant

Qui n’as pas séduit ceux à qui tu ravis

Ces pays, tu n’es à leurs yeux qu’un subit,

Soudain changement : nul doute que leur foi

S’écarte de toi, ni qu’ils renient la loi

Qui te fait monter sur le trône des leurs.

Va par la douceur apaiser leurs rancœurs,

Convaincs-les au moins des dignes intentions

Sans lesquelles rien n’est plus qu’une ambition,

Abandonne-leurs ce qu’ils réclameront ;

Hausse ainsi ta gloire en abaissant ton front. »

A ces mots parla, debout sur l’assemblée,

Cratère dont l’ire alors la fit trembler :

« Certes, ta parole est sage pour un lâche.

Où t’as-t-on dicté que la gloire s’attache

A la soumission chez les preux de ce monde ?

Alexandre, ignore une rance faconde ;

Entends mon avis si tu veux le connaître :

Il y a du bon à soigner le paraître,

Aussi organise en la plus grande pompe

Un couronnement, qu’ainsi nul ne se trompe

Au sujet de qui tient la terre connue,

Et de rhétorique use sans retenue

Afin de t’allier quelques perses partis,

Grâce à ta puissance et ton or convertis. »

Il dit. En son siège Alexandre songeait.

Il parla sur l’air où l’écho s’allongeait :

« Vous qui avez dit et fait preuve d’esprit,

J’ignore vos mots, ce n’est point par mépris :

Je ne voudrais rien entreprendre durant

Le deuil de ce peuple ; il serait insultant

De le détourner par d’inquiétants sujets

Du regret de tout ce qu’un roi présageait.

En chacun de vous j’ai laissé ma confiance,

Il me faut pourtant éprouver ma patience,

Attendre et guetter, car le hasard peut-être,

Usurpant le nom de destin saura mettre

Un signe, une idée dans quelque événement :

Jamais à cœur mûr l’inspiration ne ment. »

Le roi séjourna dans ce précieux palais

A la restriction de ne toucher jamais

Au trône, vacant mais qui tant le brava.

Or le deuil passa comme l’hiver s’en va.

 

Un jour qu’il avait de tout Perse endossé

Le commun habit, il courut les chaussées

qui fendaient l'empire, allant seul sous couvert

D’être d’Alexandre un modeste émissaire.

Il voulait trouver dans les discours des champs

La sagesse occulte emportée par des vents

Qui n’atteignent pas les réceptions de rois.

Il venait ainsi, foulant plaines et bois,

D’un lointain palais sans un garde après lui.

Il advient alors sur la route qu’il suit

Que la faim le prend. Il fait halte et descend

De son bon coursier qui ne vit point le sang

De rudes combats. A portée d’un haut cri

Alexandre trouve un amandier fleuri.

Contenté, il va libérer sa monture

A proximité, la laisse à la pâture,

Et lui-même vient sous les branches s’étendre.

Il apprête l’eau, de même qu’un pain tendre.

Or à la musique harmonieuse qu’émet

Au-dessus de lui, tout proche du sommet

Ligneux et feuillu, des abeilles le chœur,

L’homme les écoute et prit d’une torpeur,

Contemplant le ciel, le voilà qui s’endort.

Bercé par la brise, il rêve de l’accord

Qui l’unit à l’herbe et qui fait toute chose

En ce bois, cette heure, idéale en sa pose.

Or il arriva qu’un serpent pour sa part

Tout près vint ramper. Point ne servit son dard,

Puisqu’il déroba le pain pour tout butin ;

Disparus, le ver et son humble festin.

La veille investit de ses cruels états

Les chairs d’Alexandre. Il vit qu’on emporta

Son dernier repas préparé de main d’homme.

Or ne voyant là ni grenade ni pomme,

Il se résolut à chasser par l’outil

Gibier mesuré à son grand appétit.

Le voilà parti en quête des reliefs

Que laisse une harde à la suite d’un chef.

Il trouva la voie par les bêtes tracée,

Y examina les signes du passé,

Jugea que non loin sa flèche trouverait

Quelque cerf puissant à tuer sous ce trait.

Il perçoit bientôt des cris, des feulements,

Puis voit, un bâton pour tout son armement,

Et la proie d’un lion, un vieillard qui protège

Un bêlant troupeau dont pour rien il n’allège,

Autrement aisé, son retrait lent et gauche ;

Il s’écarte alors que l’animal ébauche

Une vaine charge – elle manque et fait fuir

De faibles brebis. Or sur le fauve cuir

S’abat en silence une pointe empennée ;

Détourné, le lion, plus furieux que peiné,

Vers cet ennemi, vers Alexandre vient.

L’ayant attiré, le preux chasseur le tient

Pour touché déjà, car même ainsi distant,

Il a dégagé devant son arc le champ.

Il décoche un trait où va toute sa force,

En l’épaule entré qui transperce le torse.

Il faut telle plaie pour éloigner un lion

Si furieux. « Que dire à l’heure où un million

De mercis ne dit toute ma gratitude ? »

Ainsi parle l’homme en façon de prélude.

« O mon bon sauveur, que veux-tu pour le prix

Du péril certain d’où ton bras me sortit ?

Il y a chez moi ce que donne un troupeau

De grasses brebis et ce que sans repos,

Tire un paysan du sol qui le vit naître.

En toi, il me semble en tous points reconnaître

Un prince et je crains que cela ne pourrait

Combler pleinement tes désirs. » Il se tait.

Alexandre expose ainsi ce qu’il escompte :

« Un si grand salaire est au-dessus du compte.

Un autre paiement comblerait mon vouloir :

Je suis sûr que t’es familière une histoire

Inconnue des rois et que vous, d'une heureuse

Articulation, d'une forme ingénieuse,

Aux vôtres contez selon les occasions.

Veux-tu t’arrêter, d’une grande impulsion

Narrer un récit qui te semblerait seoir ? »

Et l’homme accepta, dans l’herbe fit asseoir

Alexandre et dit : « Ceci est un récit

Qu’un puissant, je crois, sans l’aimer apprécie. »

Et l’homme invoqua la science des siens

Versée dans un lai venu des jours anciens :

 

© Cédric Logue-Martin, 2021.

 

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